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Cap 110, mémorial de l’esclavage

Cap 110, Le Diamant, Martinique :
mémorial de l’esclavage

Dans la nuit du 8 au 9 avril 1830, un navire négrier clandestin s’échoue sur les rochers de l’Anse Caffard, au nord de la commune du Diamant. À son bord, un nombre inconnu de captifs africains entassés dans les cales. Le bateau est rapidement détruit par les vagues.

Quarante-six corps sont retrouvés sur le rivage, principalement des hommes et des femmes noirs. D’autres disparurent en mer. Les rares survivants, dont certains avaient pu être libérés grâce à l’intervention d’habitants, furent envoyés quelques mois plus tard en Guyane, car leur statut posait problème : capturés lors d’un trafic interdit, ils ne pouvaient être reconnus légalement comme esclaves, ni considérés comme des hommes libres dans la colonie.

L’œuvre mémorielle de Laurent Valère

Cet épisode tragique, longtemps méconnu, a inspiré à l’artiste martiniquais Laurent Valère une œuvre mémorielle sobre et monumentale, installée en 1998 à l’Anse Caffard, à proximité directe du site du naufrage. Le mémorial, intitulé Cap 110, commémore les victimes anonymes de ce drame, dans le cadre des 150 ans de l’abolition de l’esclavage en Martinique.
L’ensemble se compose de quinze sculptures monumentales en béton armé, alignées en triangle, orientées à 110 degrés vers l’est, en direction du Golfe de Guinée, d’où venaient sans doute les captifs.
Chacune mesure environ 2,5 mètres de hauteur et repose directement au sol, sans socle. Ce choix, loin d’être anodin, rompt avec la tradition monumentale classique : il abolit toute distance entre l’œuvre et le visiteur. Le public se retrouve face à ces figures comme à des présences humaines, proches, vulnérables, figées dans une immobilité silencieuse.

Lieu de silence, de mémoire, et de réflexion

Les silhouettes, toutes identiques, représentent des torses masculins aux bras collés le long du corps, têtes penchées vers le sol, sans jambes visibles. L’effet est celui de corps à demi ensevelis, ancrés dans la terre, comme si l’histoire les avait pétrifiés. Cette posture évoque l’humilité, la douleur, mais aussi une forme de résistance muette. La matière utilisée – un béton clair, presque blanc, mêlé de sable provenant de Trinidad – renforce la portée symbolique du monument : le blanc, couleur du deuil dans certaines cultures africaines, transforme ces sculptures en figures funéraires.
L’alignement serré des statues rappelle les conditions atroces du voyage dans les cales des bateaux négriers, où les corps étaient entassés sans ménagement. Le triangle formé par leur disposition fait écho au commerce triangulaire, système économique fondé sur la traite humaine entre l’Europe, l’Afrique et les Amériques.
Plutôt que de représenter explicitement la violence, Laurent Valère a choisi une écriture plastique épurée. Pas de chaînes, pas de scènes dramatiques, mais des symboles forts, porteurs d’une émotion contenue, incitant au recueillement. Cette œuvre ne s’impose pas : elle s’offre comme un lieu de silence, de mémoire, et de réflexion.

Depuis son inauguration, Cap 110 est devenu un espace de commémoration vivant. Lors des fêtes de la Toussaint ou de l’anniversaire de l’abolition, de nombreuses personnes viennent y allumer des bougies en hommage aux disparus. Ce rituel spontané inscrit le monument dans une continuité mémorielle et cultuelle, caractéristique de la culture antillaise.

L’œuvre fait également écho aux combats intellectuels de figures majeures telles qu’Aimé Césaire ou Édouard Glissant, en interrogeant les notions d’identité, de déracinement, de mémoire et d’appartenance. Enracinées dans un sol chargé d’histoire, ces sculptures silencieuses évoquent autant les souffrances du passé que la nécessité de se souvenir pour mieux comprendre le présent.

Par sa puissance symbolique, sa sobriété et sa proximité physique avec le visiteur, Cap 110 dépasse la simple commémoration. Il devient un acte de transmission, un monument vivant qui questionne autant qu’il honore.